"Lucien est à la recherche d'une communauté inavouable, d'une fraternité sœurs comprises. Il écrit Je vers un Nous." Olivier Steiner
Un jour, en terrasse d’un bar queer, Lucien Fradin découvre l’existence d’un carton au contenu insolite : des dizaines de réponses à une petite annonce passée dans Gai Internationnal en 1984. Autant de façons de se présenter et de séduire, de dire sa réalité, son intimité, ses désirs. Le metteur en scène et interprète lillois a alors l’idée d’une galerie de portraits. Des gays qui parlent des gays. Il y mêlera sa propre histoire, des témoignages, des romans, des chansons, des films.
« Ce qui m’intéresse, c’est de multiplier les sources, de convoquer suffisamment de paroles et points de vue, pour se dire : peut-être que là, ça commence à ressembler à quelque chose qui pourrait définir la communauté gay. »
> écouter une lecture des premières pages par Lucien Fradin
Extrait
Dans ma famille, je n’ai pas eu de modèle gay, ni papa, ni tonton, ni grand-père. Tous hétéros. Un cousin du côté de ma mère partage avec moi un certain goût pour les garçons, mais ça je ne l’ai su que bien après et il était trop loin et trop tard pour avoir le temps de m’en parler, de m’aiguiller. J’aurais tellement aimé trouver le carton de lettres plus tôt.
Alors comment on apprend à faire, à être, à rencontrer quand on ne peut pas copier sur les autres ?
Heureusement, il y a les daddys, ou assimilés, on pourrait dire aussi nos grands-frères, ou juste nos copains plus âgés, ceux de la communauté, qui en savent un peu plus.
Le tout premier que j’ai rencontré avait pris des préservatifs et m’a, en quelques mots, transmis un tas d’informations sur les relations sexuelles entre garçons. Parce qu’en SVT, même si j’ai très bien écouté le cours sur les organes reproducteurs, les maladies sexuellement transmissibles et la contraception, je n’ai rien appris sur le désir, le consentement ou même les pratiques sexuelles.
Julian a partagé sa garde-robe avec moi, me donnant plus de légitimité dans les bars gays que lorsque je portais mes baggys kakis troués ou mes tee-shirts à motifs « ethniques ».
Sébastien m’a fait rencontrer les folles de la nuit, les drag-queens, celles et ceux qui connaissent tous les cocktails, tous les glory-holes, tous les endroits qui craignent et tous les bons plans de sortie. Il m’a aussi montré comment on draguait en voiture sur l’Esplanade du Jardin Vauban, à Lille.
Yann m’a montré la tendresse que l’on pouvait mettre dans des jeux sexuels hards et fait découvrir le pouvoir de la prostate, les meilleures positions pour la trouver.
Bruno m’a appris l’importance de la mémoire, de l’histoire de notre communauté et la beauté des archives : tout n’est pas toujours à recommencer, nos prédécesseurs ont déjà inventé de splendides façons d’être au monde.
Romain m’a donné des clés pour créer des relations libres mais pas destructrices, pour prendre soin des peurs de l’autre, du sentiment d’abandon ou d’indifférence.
Alberto m’a enseigné, par la pratique, comment et pourquoi être une folle, un peu partout, un peu tout le temps.
illustration de couverture : Léa Chevrier à partir d'un dessin de Lucien Fradin
Portraits détaillés • Lucien Fradin
Auteur
Caractéristiques techniques
Lucien Fradin est né en 1988. Il vit à Lille. Son travail artistique s’appuie sur la multiplication des sources, sur des enquêtes et sur des témoignages pour créer des récits protéiformes. Il part de ses histoires intimes pour vulgariser les pensées politiques et théoriques des minorités sexuelles. Il a notamment a créé deux spectacles : Éperlecques (présenté au festival off d’Avignon) et Wulverdinghe. Ces deux solos autofictifs convoquent la communauté queer et sa famille de naissance et sont joués à travers la France. En 2019, il crée, avec Aurore Magnier, la compagnie La Ponctuelle.